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Le réemploi, fer de lance de l'économie circulaire

Photo : ShutterStock

Grand consommateur de ressources, fortement émetteur de gaz à effet de serre et producteur de déchets, le secteur du bâtiment doit rentrer dans l'ère de l'économie circulaire et, notamment, s'appuyer sur l'un de ses piliers : le réemploi.

Le réemploi permet une utilisation des ressources largement découplée de la consommation d'énergie ou des émissions de carbone. En cela, il représente la vision la plus aboutie de l'économie circulaire. Aujourd'hui considéré, à tort, comme une pratique nouvelle, il éveille les consciences et requestionne toute la manière de concevoir et de gérer les produits, ainsi que de construire les bâtiments.

Une parenthèse historique

À la fin du XVIIIe siècle, des appels d'offres étaient lancés au moment des démolitions : les acteurs payaient pour récupérer les matériaux. Au cours des deux siècles suivants, cette pratique s'est progressivement perdue pour devenir marginale. Ainsi, le réemploi n'a pas été pris en compte dans la structuration moderne du jeu des acteurs de la construction et du partage des responsabilités associées qui ont été mis en place depuis l'après-guerre. Les normes produits, les DTU, l'assurance construction et, plus généralement, l'ensemble des textes régissant le fonctionnement actuel du secteur, ont été définis sans s'en préoccuper. Le système actuel, qui reposait jusque très récemment sur une facilité d'accès aux ressources énergétiques, minérales, métalliques et biosourcées, est donc une sorte de parenthèse historique qui prend aujourd'hui fin avec la réémergence du réemploi.

Le réemploi : une pratique encore marginale, mais structurante

Reconsidérer le réemploi nécessite donc de questionner l'ensemble des règles progressivement établies depuis plus de soixante-dix ans par le biais de plusieurs axes de recherche :

  • quels sont les nouveaux modes de preuve pour justifier des performances et de l'aptitude à l'emploi ? Comment maîtriser les risques sanitaires ? Comment mieux anticiper les futurs usages dès la conception des produits et des équipements ?
    Le réemploi nous incite en effet à nous interroger sur la durabilité des performances des produits à l'aune d'un nouveau cycle : allongement des durées de vie, protocoles de mesure sur site et en laboratoire, prise en compte du climat futur… La démontabilité des composants des ouvrages draine également des sujets de réversibilité de bâtiments, de rénovation à moindre production de déchets et d'éco-conception en vue d'un possible réemploi ou recyclage ;

  • comment tracer les flux et partager les rôles, responsabilités et opportunités au sein des nouvelles chaînes d'acteurs ? Comment assurer l'adéquation entre offre et demande et équilibrer les modèles économiques dans un contexte où le coût de la matière a historiquement baissé par rapport au coût du travail ?
    Les données collectées sur les flux, actuels et à venir, de composants réemployables, recyclables, valorisables sont utiles au tissu d'acteurs socio-économiques, aux filières de recyclage et aux pouvoirs publics. Organiser la filière pour mieux appréhender ces flux implique de faciliter leur captation, tout en réfléchissant à la dispersion initiale des ressources, à l'amélioration des taux de tri des chantiers (construction neuve, rénovation, démolition) ainsi qu'aux process de fabrication, de recyclage et reconditionnement ;

  • quelles sont les nouvelles métriques pour caractériser les impacts du réemploi ?
    Aller vers une massification du réemploi impose d'aborder de concert l'ensemble de ces problématiques au spectre global. Les réponses à ces questions structurantes vont nécessairement apporter des éclairages pour les autres solutions circulaires du secteur. Formidable catalyseur, la massification du réemploi va entraîner celle de l'économie circulaire, ce qui impactera progressivement l'ensemble de la chaîne de valeur.


L'interview express

Le CSTB se mobilise en faveur du réemploi

Entretien avec Camille Golhen, responsable de la division Économie Circulaire et Analyse des Filières de la direction Économie et Ressources du CSTB.

Quels sont aujourd'hui les principaux enjeux du réemploi ?

Camille Golhen : D'après le projet européen Interreg FCRBE, moins de 1 % des éléments de construction sont réemployés aujourd'hui dans le nord-ouest de l'Europe à la suite de leur premier usage. L'objectif de la nouvelle filière à responsabilité élargie des producteurs (REP), étendue au bâtiment (PMCB) le 1er janvier 2023, a justement pour objectif d'atteindre progressivement 5 % de produits réemployés d'ici à 2028. Il s'agit donc de multiplier par dix les flux de réemploi en seulement cinq ans, ce qui va nécessiter une restructuration complète des filières. Également plébiscité par la RE2020, qui n'intègre pas dans le calcul de l'impact carbone les matériaux réemployés, et favorisé par le diagnostic Produits, Équipements, Matériaux et Déchets, point de départ d'une véritable stratégie de valorisation de la matière, le réemploi s'impose comme moteur de l'économie circulaire. Cependant, plusieurs freins – techniques, logistiques, économiques et assurantiels – doivent être levés. Son développement nécessite, par exemple, de pouvoir identifier les gisements de ressources disponibles, ce qui implique aussi la structuration d'une filière de collecte, de reconditionnement et de distribution. Il est également indispensable de caractériser les performances résiduelles des produits issus du réemploi, d'identifier la présence de substances dangereuses et de définir, comme pour les produits neufs, des règles de mise en œuvre.

Comment les acteurs de la filière et le CSTB s'emploient-ils à répondre aux différents enjeux liés au réemploi ?

Camille Golhen : Ils sont de plus en plus nombreux à se saisir de ce sujet et à développer des outils, ou des expertises, afin de le généraliser : maîtres d'ouvrage intégrant des objectifs de réemploi dans leurs marchés, assistants à maîtrise d'ouvrage et sociétés de conseil qui se sont spécialisés dans le réemploi, plateformes de reconditionnement physiques et plateformes numériques de mise en relation de l'offre et de la demande, etc. Ancré dans une actualité réglementaire favorable, le réemploi se structure collectivement, au-delà de ces initiatives individuelles, avec par exemple la création du Syndicat Professionnel du Réemploi dans la Construction (SPREC). Le CSTB participe pleinement à cette dynamique. Il s'est doté, il y a un an, d'une nouvelle direction Économie et Ressources (DER), divisée en deux équipes, dont l'une dédiée à l'Économie Circulaire et Analyse des Filières qui vise à porter ses travaux en matière de sensibilisation des acteurs face aux défis que représentent la disponibilité des ressources, le passage d'une économie linéaire à une économie circulaire et la pérennité des modèles économiques. Le CSTB propose ainsi deux axes de travail majeurs : d'une part, l'accompagnement et la reconnaissance des process des plateformes de reconditionnement avec, notamment, la signature d'un partenariat structurant avec la Métropole du Grand Paris ; d'autre part, l'élaboration de guides méthodologiques partagés et reconnus sur l'évaluation des performances en vue d'un réemploi, qui s'est matérialisée au travers du projet de recherche SPIROU (Sécuriser les Pratiques Innovantes de Réemploi via une Offre Unifiée). Notre objectif est de mettre en place les conditions pour passer d'une logique de cas par cas à une logique standardisée, véritable support à une massification des pratiques.

Ces différentes actions en faveur du réemploi font intervenir plusieurs expertises au sein du CSTB. Comment cette collaboration transverse se concrétise-t-elle ?

La DER travaille en étroite collaboration avec l'ensemble des directions du CSTB. Ses actions sont alignées avec le programme de recherche « Économie et conception circulaire » associé au domaine d'action stratégique Recherche « Économie circulaire et ressources pour le bâtiment » de la direction Recherche et Développement. Pour la réalisation des guides, la DER s'est rapprochée des différentes directions opérationnelles du CSTB pour mettre en place une organisation transverse en mode projet. Les pilotes rédacteurs de ces livrables sont soit des ingénieurs évaluation des directions Sols et Revêtements, Sécurité, Structures, Feu ou encore Climatologie, Aérodynamique et Aéraulique pour les ouvrages et les transports, soit des ingénieurs recherche ayant bénéficié de l'appui de ces derniers. Des essais de caractérisation des émissions de composés organiques volatils et de formaldéhyde sur des dalles de moquette de réemploi ont, par ailleurs, été effectués par la direction Santé Confort du CSTB. Ce sont, au final, plus de la moitié des directions opérationnelles du CSTB qui sont mobilisée sur ces travaux, avec des échanges croisés permettant de couvrir l'ensemble des performances (techniques, sanitaires, économiques, environnementales…) qu'il faut nécessairement prendre en compte lorsque l'on envisage le réemploi.