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Essais feu dans un immeuble d'habitation : une expérience inédite dans le monde de la recherche

Foyer primaire (bûcher de bois) au rez-de-chaussée de l'immeuble d'habitation

Réaliser des feux réels dans un bâtiment de 4 étages : une première en France, conçue et coordonnée par le CSTB avec les Universités de Poitiers et de Lorraine, et le SDIS 85, en Vendée l'été dernier. Ces incendies expérimentaux ont marqué par leur ampleur : 15 chercheurs mobilisés pendant 6 mois de préparation et 3 jours d'essais, avec 2 mises à feu par jour. Un dispositif d'instrumentation inédit a reposé sur 600 points de mesure dans le bâtiment. Thomas Rogaume, professeur à l'Université de Poitiers, Pascal Boulet, professeur à l'Université de Lorraine, et Elizabeth Blanchard, chef de projet direction Sécurité Structure Feu au CSTB, partagent les enjeux et l'organisation de cette démarche expérimentale qui fait progresser la sécurité incendie du bâtiment.

Pouvez-vous décrire la campagne d'essais feu ?

Thomas Rogaume : Le bâtiment testé comportait 4 étages avec un logement de 5 pièces à chaque étage, reliés par une cage d'escalier. Nous y avons réalisé plusieurs essais pour étudier l'enfumage des lieux en cas d'incendie.
Nous avons établi un foyer primaire (bûcher de bois) au rez-de-chaussée. Une fois le feu allumé, nous avons observé comment la fumée s'écoulait depuis la pièce où le feu a démarré, vers les pièces adjacentes du logement puis via la cage d'escalier, et enfin vers les logements situés aux étages supérieurs.
Grâce aux capteurs déployés avec le CSTB et l'Université de Lorraine, nous avons pu suivre précisément l'évolution de la fumée et ses propriétés (température, vitesse d'écoulement, opacité, composition et hauteur de stratification), ainsi que les flux thermiques. 600 points de mesure, positionnés dans le bâtiment, ont permis de relever des données toutes les 1 à 6 secondes. La répétition du même essai 3 jours de suite a conforté la fiabilité des très nombreuses données recueillies.
Cette campagne a également permis d'analyser la dynamique du feu. En effet, à côté du foyer principal, nous avons disposé deux sources combustibles secondaires (mousse polyuréthane) et observé les conditions de leur inflammation. Un peu comme si, dans notre quotidien, des coussins ou fauteuils situés à proximité de flammes, s'enflammaient et participaient au développement du feu, et notamment à son extension.

Une organisation exceptionnelle…

Pascal Boulet : Une organisation dont le succès repose sur la mutualisation des équipes, des compétences et des équipements scientifiques du CSTB et des Universités de Lorraine et de Poitiers. Cette synergie nous a permis de recueillir une cartographie complète et précise des phénomènes physiques mis en jeu. Et elle enrichit désormais le traitement des données. Chacun s'attache à modéliser l'ensemble des phénomènes physiques observés. L'Université de Poitiers étudie surtout la dynamique du feu, l'Université de Lorraine, les transferts thermiques, et le CSTB, l'écoulement de la fumée. Ensemble, nous avons prévu de rendre publics nos résultats courant 2017, très attendus par la communauté scientifique et le monde des sapeurs-pompiers, les préventionnistes* notamment. C'est aussi une très belle illustration des possibilités de coopération offertes par la mise en place depuis 2016 du laboratoire commun LEMTA/CSTB, suite à un accord qui cadre notre collaboration jusqu'en 2021.

À terme, quels bénéfices les acteurs de la construction peuvent-ils attendre de ces essais ?

Elizabeth Blanchard : L'analyse des données va permettre de fiabiliser les outils de l'Ingénierie Sécurité Incendie, utilisés dans l'évaluation du niveau de sécurité d'un établissement.
Avec les résultats de ces essais de grande ampleur, nous allons en effet valider et enrichir nos modèles numériques pour une configuration de bâtiment à plusieurs niveaux. Cela constitue une avancée notable quand on connaît l'influence d'une cage d'escalier sur l'enfumage d'un bâtiment multi-étages.
Concrètement, le CSTB envisage de mettre à l'épreuve et de faire évoluer son logiciel SCHEMA-SI dédié à l'analyse globale du risque incendie à l'échelle d'un établissement. Ce logiciel présente un grand intérêt, car il prend en compte la physique du feu (développement du feu, enfumage) et aussi l'impact des systèmes techniques de mise en sécurité (détecteur, alerte) et du comportement humain (personnel de sécurité) sur l'incendie.
Les acteurs de la construction qui s'engagent dans une démarche performancielle au service de projets innovants, pourront ainsi disposer d'études prédictives plus précises en matière de sécurité incendie. Leurs libertés dans l'art de concevoir et de bâtir s'en trouvent élargies.

À propos : la campagne d'essais feu a été menée à la Châtaigneraie (Vendée) du 19 au 21 juillet 2016 par le CSTB, l'Université de Poitiers (Institut Pprime et IRIAF), l'Université de Lorraine (LEMTA) et le SDIS 85. Cette campagne a également associé le bailleur social Vendée Logement, qui a mis à disposition l'immeuble de 4 étages pour réaliser les feux avant sa démolition. Les sapeurs-pompiers de Vendée (SDIS 85) ont réalisé des exercices sur place pour améliorer leurs techniques opérationnelles de lutte contre l'incendie.

En savoir plus :

* Préventionniste : analyse les risques en présence dans les bâtiments, et préconise, par des avis et des conseils techniques, les mesures les plus adaptées pour limiter les effets d'un sinistre.